Franz se souvient de la visite d’un musée de Téhéran avec Faugier, un doctorant français opiomane. Ils y feront une curieuse rencontre révélant des liens pour le moins étranges entre Iran et Allemagne.
Le nazi iranien du musée Abguineh de Téhéran était peut-être wagnérien, qui sait – quelle surprise quand ce type rond et moustachu d’une trentaine d’années nous a abordés entre deux vases magnifiques dans cette salle presque déserte, le bras levé en gueulant « Heil Hitler ! ». J’ai d’abord imaginé une blague de très mauvais goût, pensé que l’homme croyait que j’étais allemand et qu’il s’agissait d’une manière d’insulte, puis j’ai réalisé qu’avec Faugier nous parlions français. L’énergumène nous observait en souriant, toujours le bras levé, j’ai répondu qu’est-ce qui vous prend, ça ne va pas ? Faugier à mes côtés était hilare. L’homme au eu tout d’un coup l’air contrit, un air de chien battu, et a soufflé ce soupir de désespoir, « ah, vous n’êtes pas allemands, comme c’est triste ». Triste, indeed, nous ne sommes ni allemands ni philonazis, malheureusement, rigola Faugier. Le bonhomme avait l’air particulièrement désolé, il se lança dans une longue diatribe hitlérienne avec des accents pathétiques ; il insistait sur le fait que Hitler était « beau, très beau, Hitler qashang, kheyli qashang« , beuglait-il en serrant le poing sur un trésor invisible, le trésor des Aryens, sans doute. Il expliqua longuement que Hitler avait révélé au monde que les Allemands et les Iraniens formaient un seul peuple, que ce peuple était amené à présider aux destinées de la planète, et qu’il était selon lui bien triste, oui, bien triste que ces idées magnifiques ne se soient pas encore concrétisées. Cette vision de Hitler en héros iranien avait quelque chose d’effrayant et de comique à la fois, au milieu des coupes, des rhytons et des plats décorés. Faugier essaya de poursuivre plus avant la discussion, de savoir ce que le dernier nazi d’Orient (ou peut-être pas le dernier) « avait dans le ventre », ce qu’il connaissait réellement des théories national-socialistes et surtout de leurs conséquences, mais abandonna bien vite, car les réponses du jeune illuminé se limitaient à de grands gestes autour de lui pour signifier sans doute « Regardez ! Regardez ! Voyez la grandeur de l’Iran ! », comme si ces vénérables verroteries étaient en elles-mêmes une émanation de la supériorité de la race aryenne. L’homme était très courtois ; malgré sa déception de ne pas être tombé sur deux Allemands nazis, il nous souhaita une excellente journée, un magnifique séjour en Iran, insista pour savoir si nous avions besoin de quoi que ce fût, lissa ses belles moustaches à la Guillaume II, claqua ses talons et s’en alla, nous abandonnant, selon l’expression de Faugier, comme deux ronds de flan, abasourdis et désemparés. Cette évocation du vieil Adolf au cœur du petit palais néo-seljoukide du musée Abguineh et de ses merveilles était si incongrue qu’elle nous laissait un drôle de goût dans la bouche – entre éclats de rire et consternation.