Pridamant pense avoir vu son fils mourir, grâce aux visions que lui offre Alcandre. Il est surpris de le retrouver ensuite en vie. L’explication est simple: son fils est comédien et ce qu’il avait d’abord vu n’était qu’une pièce de théâtre.
On tire un rideau et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent.
PRIDAMANT
Que vois-je ! chez les morts compte-t-on de l’argent ?
ALCANDRE
Voyez si pas un d’eux s’y montre négligent !
PRIDAMANT
Je vois Clindor, Rosine. Ah ! Dieu ! quelle surprise !
Je vois leur assassin, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?
ALCANDRE
Ainsi, tous les acteurs d’une troupe comique,
Leur poème récité, partagent leur pratique.
L’un tue et l’autre meurt, l’autre vous fait pitié,
Mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leur combat, leur mort suit leurs paroles,
Et sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant
Se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su par leur fuite
D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ;
Mais en tombant dans les mains de la nécessité,
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.
PRIDAMANT
Mon fils comédien !
ALCANDRE
D’un art si difficile
Tous les quatre au besoin en ont fait leur asile,
Et depuis sa prison ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas impourvu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons et lui, dans leur métier,
Ravissent dans Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage
Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
Est bien à votre fils, mais non pour s’en parer
Qu’alors que sur la scène il se fait admirer.
PRIDAMANT
J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte,
Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte :
Est-ce là cette gloire et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?
ALCANDRE
Cessez de vous en plaindre : à présent le théâtre
Est en un point si haut qu’un chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands ;
Parmi leurs passe-temps il tient les premiers rangs,
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre
Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au théâtre français.
C’est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles,
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
S’il faut par la richesse estimer les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes,
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus de biens et d’honneur qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.