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Les Liaisons dangereuses – La condition féminine

Le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil sont deux anciens amants qui s’estiment, mais avec une part de perversion. Ils sont manipulateurs et ce sont leurs manipulations qui façonnent le roman. Dans la lettre suivante, nous découvrons les motivations de la Marquise.

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L’amour plutôt que l’amitié

Le vicomte de Valmont, plus décidé que jamais à conquérir la présidente de Tourvel, ne cesse de lui envoyer des lettres malgré le souhait de celle-ci de ne plus être ennuyée par les avances accablantes du vicomte. Refusant la proposition de celle-ci de devenir son ami, Valmont va alors lui envoyer une lettre prétendant exprimer son ressenti et son amour.

LETTRE LXVIII

LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL

Comment répondre, Madame, à votre dernière Lettre ? Comment oser être vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprès de vous ? N’importe, il le faut ; j’en aurai le courage. Je me dis, je me répète, qu’il vaut mieux vous mériter que vous obtenir ; et dussiez−vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cœur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j’aurais lu cette même Lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd’hui ! Vous m’y parlez avec franchise, vous me témoignez de la confiance, vous m’offrez enfin votre amitié : que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter ! Pourquoi ne suis−je plus le même ? Si je l’étais en effet ; si je n’avais pour vous qu’un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction et du plaisir, qu’aujourd’hui pourtant on nomme amour, je me hâterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu’ils me procurassent le succès, j’encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner ; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir ; j’accepterais votre amitié dans l’espoir de l’égarer. Quoi ! Madame, ce tableau vous effraie ? hé bien ! il serait pourtant tracé d’après moi, si je vous disais que je consens à n’être que votre ami. Qui, moi ! je consentirais à partager avec quelqu’un un sentiment émané de votre âme ? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper ; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus. Ce n’est pas que l’aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux. Mais l’amour ! l’amour véritable, et tel que vous l’inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d’énergie, ne saurait se prêter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l’âme, qui permet des comparaisons, qui souffre même des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l’amour le plus tendre, et même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l’anéantir. De quel droit prétendez−vous disposer d’un cœur dont vous refusez l’hommage ? Par quel raffinement de cruauté, m’enviez−vous jusqu’au bonheur de vous aimer ? Celui−là est à moi, il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S’il est la source de mes maux, il en est aussi le remède. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels ; mais laissez−moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux ! eh bien ! soit ; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort ; et peut−être, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n’est pas que j’espère vous rendre jamais sensible : mais sans être persuadée, vous serez convaincue, vous vous direz : Je l’avais mal jugé. Disons mieux, c’est à vous que vous faites injustice. Vous connaître sans vous aimer, vous aimer sans être constant, sont tous deux également impossibles ; et malgré la modestie qui vous pare, il doit vous être plus facile de vous plaindre, que de vous étonner de sentiments que vous faites naître. Pour moi, dont le seul mérite est d’avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre ; et loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours.

Contributeur: Kuprowski Jeremy

Les Liaisons dangereuses – La philosophie de Mme de Merteuil

La marquise de Merteuil explique au vicomte de Valmont son parcours et l’origine de son libertinage. Les vices deviennent pour elles des moyens acceptables pour les fins qu’elle s’est fixées. Prévan en fera les frais.

[…] n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ?

Ah ! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire et qui se disent à sentiment ; dont l’imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête ; qui, n’ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l’amour et l’amant

[…]

Mais moi, qu’ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m’avez-vous vue m’écarter des règles que je me suis prescrites et manquer à mes principes ? Je dis mes principes, et je le dis à dessein, car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, abandonnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude : ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés et je puis dire que je suis mon ouvrage.

[…]

La maladie de M. de Merteuil vint interrompre [mes] douces occupations ; il fallut le suivre à la ville où il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps après, et quoique à tout prendre, je n’eusse pas à me plaindre de lui, je n’en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu’allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d’en profiter.

Ma mère comptait que j’entrerais au couvent ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l’un et l’autre parti et tout ce que j’accordai à la décence fut de retourner dans cette même campagne, où il me restait bien encore quelques observations à faire.

Je les fortifiai par le secours de la lecture ; mais ne croyez pas qu’elle fût toute du genre que vous la supposez. J’étudiai nos mœurs dans les romans, nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous et je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser et de ce qu’il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution : j’espérai les vaincre et j’en méditai les moyens.

[…]

Cependant ma conduite précédente avait ramené les amants, et pour me ménager entre eux et mes infidèles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l’excès de sa délicatesse fournissait des armes contre l’amour

Alors je commençai à déployer sur le grand théâtre les talents que je m’étais donnés. Mon premier soin fut d’acquérir le renom d’invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l’amant préféré. Mais celui-là, ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde, et les regards du cercle ont été ainsi toujours fixés sur l’amant malheureux.

[…]

qu’après m’être autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l’imprudence et la timidité ; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite ? Non, vicomte, jamais ! Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l’avoir et je l’aurai.

Contributeur: Chieco Élodie